Lettre n°27
DOSSIER : LE CONCEPTEUR LUMIERE, l’ARCHITECTURE ET l’ECLAIRAGE NATUREL
En réintroduisant une dimension quantitative dans le traitement de la lumière du jour -jusqu’alors surtout perçue sous un angle qualitatif-, les démarches environnementales signent la fin de l’empirisme en matière d’éclairage naturel, et soulignent en cela la nécessité de nouvelles compétences spécialisées au sein des équipes traditionnelles de projet. Dans quelle mesure les concepteurs lumière prennent-ils alors part à ce mouvement ? Comment, après avoir construit sa spécificité sur le terrain de la lumière urbaine, la profession peut-elle défendre là aussi une approche à la fois durable et plus sensible ? « l’architecture est le jeu savant, correct et magni¬fique des volumes assem¬blés sous la lumière ». Fondatrice de l’architecture mo¬derne, cette maxi¬me de Le Cor¬busier semble répartir les tâches de façon nette : d’un côté, l’architecte qui fait de la lumière naturelle son matériau privilégié, de l’autre le concepteur lumière, chargé de l’éclairage artificiel. Les rôles ne sont pourtant pas si tranchés. Un maître d’œuvre entré au panthéon de l’architecture pour ses bâtiments construits autour de la lumière naturelle, Louis Kahn, s’était attaché la complicité du concepteur lumière américain Richard Kelly, notamment dans ses projets de musées à la fin des années 1960. Ainsi pour le Kimbell art center (Fort Worth, Texas) et le Yale Center for british art (New Haven, Connec¬ticut), ce dernier mettra au point des dis¬positifs qui, limitant au maximum le recours à l’éclairage artificiel, contribuent encore aujourd’hui à la qualité et à la renommée de ces bâtiments. Pionnier d’une ap¬pro¬che qualitative de l’éclairage, Richard Kelly collabora aussi avec Philip Johnson et Frank Lloyd Wright. un regain d’intérêt pour la lumière naturelle Cette démarche valorisant les apports de lumière naturelle reprend tout son sens à l’heure où les préoccupations environnementales influencent de plus en plus profondément les pratiques constructives. Les industriels multiplient les initiatives visant à associer la promotion de leurs produits à des projets manifestes à fort coefficient d’innovation. Leader dans la fenêtre de toi¬ture, Velux publie ainsi un journal trimestriel, « daylight and architecture » , qui parcourt l’étendue des applications de la lumière naturelle au sens large du ter¬me, et organise tous les deux ans un con¬cours pour étudiants intitulé « Light of to¬morrow », dont le but est de faire émerger des travaux non conventionnels sur la lumière naturelle. Pour ce concours, seul le thème est imposé, le choix du programme restant libre et le candidat n’ayant aucune obligation d’utiliser les produits du fabricant. Un projet nominé lors de la dernière cession du concours résume bien la nature inattendue des réflexions. Conçu par les étudiants en architecture Benjamin Sara¬goussi et Gregory Bismuth, il consistait en une grande halle faite de piliers en béton au sommet desquels avaient été installés des panneaux métalliques à mé¬moire de forme ; selon l’échauffement, la structure se dilatait, en refermant des vantelles filtrant la lumière du soleil. Si ce type de projet apparaît encore peu réaliste pour toutes sortes de raisons à la fois techniques, financières ou réglementaires, il élargit le panorama des possibilités créatrices de la lumière. l’éclairage naturel : un simple problème de normes ? Parallèlement, la mise en place de la Régle¬mentation Thermique (RT 2005) et l’adoption du référentiel HQE poussent à une intégration a priori plus stricte des contraintes liées à l’éclairage naturel et à l’ensoleillement dans les projets. Dans la pratique, ces nouvelles dispositions ne vont pas sans soulever certains problèmes ou questions. Ainsi la prise en compte du confort visuel ou du facteur de lumière du jour (qui quantifie la proportion d’éclairement naturel à l’intérieur d’un bâtiment) repose sur des calculs et simulations pour lesquelles les professionnels -BET ou concepteurs lumière- ne sont pas forcément équipés. Parmi les logiciels commercialisés pour les professionnels, on peut par exemple citer Dialux, développé par l’Ecole Polytechnique Fédérale de Lausanne (EPFL), dont les capacités de simulation sont encore limitées : calculs réservés à des cas simples (volumes parallélépipédiques) ; entrée de paramètres simplifiés (coefficients de réflexion…). En France, deux laboratoires publics de recherche jouent un rôle important, qui ont développé leurs propres outils : le LASH de l’Ecole Nationale des Travaux Publics de l’Etat (ENTPE) à Lyon et le département éclairage du CSTB à Nantes. Ce dernier, après avoir créé un ciel artificiel permettant des simulations sur maquettes, travaille aujourd’hui presque exclusivement à partir du logiciel d’éclairage naturel et d’ensoleillement PHANIE. Cet outil numérique, dont les résultats peuvent être fournis sous différentes formes (valeurs numériques, images en « vraie couleur », isolux ou isoluminances), a pour atouts de gérer des configurations architecturales complexes et d’intégrer les paramètres précis des matériaux et luminaires, que le CSTB peut mesurer en amont dans son laboratoire d’essais. Le logiciel, tout en ayant d’abord été développé dans un contexte de recherche, est ainsi mis à jour en fonction des commandes particulières. Comme le précise en ce sens Michel Perreaudeau, du département éclairage, « alors que nous étions auparavant surtout contactés par des maîtres d’ouvrages, ce sont aujourd’hui des BET en manque d’outils qui nous sollicitent. » Mobilisant des moyens importants, le CSTB n’intervient que sur de gros projets ; de fait, le coût des études les réserve à des architectures de plusieurs milliers de m2 ou à des réalisations prestigieuses telles que les musées (Quai Branly, Orangerie). faire évoluer les pratiques ? Par ailleurs, alors que la HQE met en avant l’utilisation privilégiée de lumière naturelle, les bureaux d’études sont souvent contraints de faire machine arrière pour des questions thermiques (dépenses énergétiques de chauffage, risques de surchauffe…). Ce dernier point soulève la question de la place à accorder au travail de projet, en particulier face aux contraintes réglementaires et au flou entourant les missions des différents acteurs. De ce point de vue, la position des BET et celle des concepteurs lumière semblent différer. Pour Hélène Michelson, du bureau d’études Tribu, le rôle du BET ne doit pas être directif mais permettre de dégager des principes laissant la possibilité au maître d’œuvre de trouver sa propre solution. Au contraire, Gérard Foucault déplore que sa mission en tant que concepteur lumière soit souvent vue comme limitée : « la plupart du temps, il faut définir des exigences au niveau normatif, diffuser les informations sur la réglementation, traiter un peu le confort visuel sur les plans de travail mais même en muséographie, la tâche du concepteur lumière va rarement au-delà des points réglementaires, faute de moyens. » A ce titre, si les diagnostics et les études réalisées en amont tendent à être demandées par les architectes eux-mêmes dans la perspective d’une validation du projet sur le plan réglementaire, elles peuvent con¬duire, pour les projets complexes, à des modifications substantielles du concept de départ : dimensionnement, formes, choix des matériaux… Comme le souligne encore Gérard Foucault, « la lumière naturelle est une lumière vivante qu’on peut contrôler plutôt que distribuer, souvent au prix de solutions complexes, comme les puits de lumière, or cela passe par des investissements importants ». un aperçu sur la situation allemande Dans le cadre d’une enquête menée en 2005-2006 sur la profession de concepteur lumière en France, une comparaison avec la situation outre-Rhin avait été esquissée, sous la forme d’entretiens avec six responsables d’agences de conception lumière. Bien que très partiel, le tableau qui en ressort laisse apparaître certaines différences entre les deux pays. Outre l’hypothèse selon laquelle la conception lumière en Allemagne serait davantage qu’en France ancrée dans la technique, en termes de profils mais aussi de culture professionnelle, la spécialisation des agences entre lumière architecturale et lumière urbaine semble une donnée importante. Les équipements publics “fonctionnels” (établissements scolaires, de santé) et le secteur de l’éclairage de bureaux sont en particulier décrits comme des secteurs attractifs où le poids des normes et de la standardisation créent des enjeux particuliers pour les concepteurs lu¬mière : promotion de solutions plus particularisées d’un côté, « gestion de l’énergie et minimisation des coûts » de l’autre. un exemple étranger d’intégration globale Un cas exemplaire de conception intégrée de la lumière – naturelle et artificielle – au projet architectural est sans doute donné par Bartenbach Lichtlabor. Reconnue parmi les agences de conception lumière pionnières au niveau mondial, l’agence autrichienne compte cinquante employés couvrant différentes compétences (concepteurs lumière, ingénieurs, psychologues), développe ses propres logiciels de calculs et intègre un centre de formation à la conception lumière. Elle s’est aussi dotée d’un département recherche et développement travaillant en priorité sur la lumière naturelle dans une perspective écologique, et met au point des produits voués à la production industrielle, comme les « tunnels de lumière ». Disposant d’un ciel artificiel de 6 m de diamètre qu’elle a développé pour son propre usage, Lichtlabor réalise et teste des maquettes de grande précision dans des conditions proches de la réalité. « Cette solution présente deux avantages, affirme Andreas Danler, un des associés de l’agence ; cela permet très facilement de montrer au client l’ambiance lumineuse qui régnera dans son projet, et c’est pour nous un instrument de contrôle jugé plus précis que les simulations informatiques ». Cet outil hors norme a notamment été utilisé lors de la mise au point de la salle d’échanges de l’aéroport de Shangi, à Singapour, pour le compte de l’agence américaine Skidmore-Owens-Merril. Avec ces 900 lanterneaux, la salle montre que de vastes perspectives s’ouvrent dans le domaine de la conception en lumière naturelle.
Face à cet exemple autrichien, la situation française apparaît certes peu comparable ; à la taille des agences, beaucoup plus modeste et synonyme de moyens eux-mêmes plus réduits, s’ajoute sans doute le poids des représentations et des modes de fonctionnement hérités : dissociation plus nette entre technique, recherche et conception ; faible perméabilité entre les métiers ; valorisation de la commande publique plutôt que privée… Les choses semblent toutefois en train de changer, comme le montrent les références de projets récemment publiées dans la lettre de l’ACE, davantage tournées vers le tertiaire, l’architecture de représentation ou commerciale. De manière générale, à l’heure où les matériaux et dispositifs architecturaux font l’objet d’une sophistication croissante, la conception de la lumière naturelle à l’interface entre technique et architecture -et non plus du côté de l’une ou de l’autre- représente un enjeu important sur lequel nous reviendrons dans un prochain numéro. Olivier Namias
L’ACE à AGORA 2008
L’ACE à AGORA 2008 Du 11 au 13 avril dernier s’est tenue la 3e édition d’AGORA, biennale d’architecture, d’urbanisme et de design organisée par la ville de Bordeaux, dont la vocation est de mettre à l’honneur l’architecture contemporaine et la dynamique urbaine de Bordeaux, au travers d’expositions, projections et débats organisés en différents lieux de la ville. Placée sous le commissariat de l’architecte Nicolas Michelin, Agora 2008 a accueilli plus de 23 000 visiteurs. Un rendez-vous auquel l’ACE s’est pour la première fois associée. Jardin d’architectures saison #2 Dans le cadre d’Agora, arc en rêve – centre d’architecture a engagé l’opération Jardin d’architectures. Destinée à sensibiliser le grand public à l’architecture, elle s’appuie sur l’exposition de micro-architectures dont la conception est confiée à 3 équipes de créateurs. A l’occasion de Jardin d’architectures saison #2, l’ACE s’est jointe à arc en rêve pour la création d’un Espace lumière associant un concepteur lumière et un architecte (voir encadré p. 3). Suite à une consultation lancée à l’automne dernier, 3 équipes ont été pré-sélectionnées par un jury composé de 3 membres de l’ACE et de 3 membres d’arc en rêve. Lauréat, le projet ] inTex ], conçu par Catherine da Silva (Lightec) et Guillaume Richard (Datoo architecture), a été réalisé et présenté place Lainé, du 11 au 20 avril dernier. Ce projet a pu être réalisé grâce au soutien de plusieurs partenaires : Flux Lighting, Lyon (ACE éclairage intérieur) – Atelier Bois Production, Isle Saint-Georges et Gedimat Monier Labenne Rougier, Bordeaux (structure) – Le Comptoir de l’Image, Pantin (bâche et pictogramme) – AC ingénierie Île de France, Charenton-le-Pont (BET) – Cegelec, Bordeaux (installation électrique) Rencontres au H14 L’ACE, présente au Hangar 14, lieu principal de la biennale, a animé un espace sur lequel étaient exposés différents projets, en particulier bordelais : mise en lumière des quais rive gauche par Laurent Fachard – les Eclairagistes Associés (Lyon) ; mise en lumière de la place Pey-Berland par Yon Anton-Olano (Bordeaux), cette dernière réalisation ayant donné lieu, dimanche 13 avril après-midi, à une présentation-rencontre avec Yon Anton-Olano. Autre rendez-vous important au H14 : le débat animé, vendredi 11 avril, par Christophe Canadell, Pierre Rossignol et Bernard Duval, délégué général de l’Association Française de l’Eclairage, autour de la parution du livre blanc : « Lumière et développement durable : position et engagements de l’ACE face aux nouvelles recommandations ». La rédaction de ce document par Christophe Canadell et Pierre Rossignol fait suite à l’édition 2007 des Rencards de l’ACEtylène (voir la lettre de l’ACE n°24) et pose les bases d’une démarche lumière cherchant à concilier innovation créatrice et durabilité. Téléchargeable sur le site de l’ACE, le document est destiné à être enrichi.
ESPACE LUMIERE SAISON#2 : une expérience d’architecture et de lumière
Évocation des trois projets sélectionnés pour Jardin d’architectures saison #02 d’Agora 2008 (voir encadré p. 2), dont l’objectif était de proposer, à travers une micro-architecture à la fois habitable et démontable, une expérience sensible de découverte et d’observation des relations entre lumière et architecture / espace public, dedans et dehors. ] inTex ], projet lauréat Le projet de Catherine da Silva (Lightec) et Guillaume Richard (Datoo architecture) repose sur un double paradoxe : installer un espace fermé dans un espace ouvert ; proposer une architecture où l’intérieur devient extérieur et vice-versa. Invitant le spectateur à « sortir dedans et entrer dehors », c’est ici la lumière qui fabrique au lieu de montrer et qui perturbe au lieu d’expliquer. De dehors, réduite à son expression iconique, la maison traditionnelle se transforme en objet de consommation, de même qu’un mobilier filaire en néon construit un langage de l’architecture d’intérieur banalisé, uniformisé, suggérant une ambiance familière qui n’a plus sa vocation originelle. A l’intérieur, où la maison se fait écrin protégeant de l’espace extérieur, l’intimité et la délicatesse d’un arbre évoquant le symbole du jardin que chacun doit préserver, irradie de lumière et fait évoluer le spectateur dans un fondu de lumière matinal jusqu’au crépuscule. Arbre en rêve, projet sélectionné Arbre de papier, observatoire, légèreté… sont quelques uns des mots définissant le projet imaginé par Victor Vieillard (concepteur lumière), Bruno Bonjean (architecte) et Sara de Gouy (designer d’espace). Cabane perchée à la structure de bois et à la double peau de calque, ce projet proposait une variété d’images graphiques et chromatiques ; troncs colorés et lumière intérieure douce, filtrée par le calque de jour ; dématérialisation et fragmentation de nuit, grâce à un scénario faisant varier les 300 points lumineux (LED) qui, dissimulés entre les deux peaux de l’édicule devaient évoquer, à l’instar de l’arbre, « l’énergie puisée dans la sève colorée des troncs et transmise au feuillage de calque ». La maison de lumière, projet sélectionné Marc Dumas (concepteur lumière) et Jean François Parent (architecte) ont proposé « l’histoire d’un cube mystérieux qui laisse découvrir en y entrant une pièce inhabituelle, comme remplie d’une lumière qui se serait arrêtée dans les murs, d’une lumière que l’on peut voir et dans laquelle on peut rêver. » Ce cube se singularise par des ouvertures différentes sur ses quatre faces. A l’intérieur, des lames verticales décalées par rapport aux percements, revêtues d’une face miroir satinée, soumettent la perception de l’espace au triple jeu des réflexions, filtres et variations des rayons solaires, affranchissant les limites entre intérieur et extérieur. De ce travail expérimental sur le mur de lumière, d’abord conçu à partir de la lumière du jour, découlait aussi la proposition nocturne, par laquelle le cube devenait émetteur de lumière